I – Définition et caractère d’immatriculation :
A – Définition : L’immatriculation consiste à inscrire sur des registres spéciaux appelés livres fonciers, des immeubles qui auparavant étaient régies par le droit musulman.
Cette immatriculation donne à l’immeuble un nouveau point de départ et le débarrasse, par l’effet de la purge, de tous les droits réels et de toutes les charges fonciers antérieurs à l’immatriculation et qui ne sont pas révélés en temps utile.
L’immatriculation d’un immeuble procure de multiples avantages pour le requérant car le droit de propriété est consacré d’une manière définitive et irrévocable.
L’immeuble en cours d’immatriculation (demeure régi par les règles du droit musulman) peut être vendu par le requérant en totalité ou en partie d’une manière divise ou indivise, il peut aussi faire l’objet d’une donation, d’un échange ou de chefaa (droit de préemption), il peut en fin être transmis à cause du décès de son titulaire aux héritiers.
B – Caractère :L’immatriculation est facultative (le propriétaire d’un immeuble non immatriculé est libre de choisir entre soumettre son immeuble au régime de l’immatriculation ou le laisser sous le régime des propriétés non immatriculées), mais une fois la demande déposée (réquisition), il est impossible de la retirer et arrêter la procédure d’immatriculation (Art 6 du Dahir de 1913).
Il existe des cas d’immatriculation obligatoire prévue par loi (immeuble domaniaux échangés ou immeuble de Habous public échangés – Immeuble ayant fait l’objet de saisie immobilière -immeuble compris dans les secteurs de remembrement ….).
C’est un système onéreux qui n’est gratuit que dans les cas prévus par la loi, C’est un système administratif (la justice s’applique s’il y a litige), C’est un système caractérisé par la publicité.
Le traitement des demandes est individuel sauf dans le cas d’immatriculation groupée ou d’ensemble dans le cadre du remembrement rural prévu par la loi.
II- La procédure de l’immatriculation :
Pour que l’immeuble soit soumis au régime de l’immatriculation foncière (régime des Livres fonciers) il faut qu’il soit au préalable immatriculé et titré. Et pour qu’il soit immatriculé, il doit obéir à la procédure d’immatriculation qui s’appuie essentiellement sur des techniques de publicité foncière.
A- le dépôt de la réquisition : (première phase de la procédure administrative de l’immatriculation foncière), la procédure d’immatriculation commence par le dépôt d’une réquisition d’immatriculation signée auprès de la conservation foncière contre récépissé.
La réquisition doit comporter un ensemble de renseignements (Art 13 du Dahir de 1913) concernant :
– Le propriétaire et les titulaires de droits (Noms, prénoms, état civil, adresse, nationalité, s’il s’agit d’une personne morale il faut indiquer sa raison sociale, son siège, son capital et sa nature ..)
– L’immeuble : description physique (situation géographique, superficie, limites ….), estimation de la valeur de l’immeuble (pour établir le calcul du paiement des droits d’immatriculation car l’immatriculation n’est gratuit que dans les cas prévus par la loi : bien habous – propriétés rurales …)
La réquisition ne peut être déposée que par certaine personne (Art 10 du Dahir de 1913) :
– Le propriétaire.
– Le copropriétaire.
– Les bénéficiaires des droits réels d’usufruit, d’usage et d’habitation, d’emphytéose ou d’antichrèse.
– Les bénéficiaires de servitudes foncières avec l’accord du propriétaire.
Plusieurs propriétaires dont les immeubles sont contigus peuvent convenir de demander ensemble d’immatriculation simultanée.
A la réquisition il faut annexer les origines ou les copies certifiées conformes aux titres de nature à faire connaitre le droit de propriété et les droits réels existent sur l’immeuble.
Dans un délai de 10 jours du dépôt de la réquisition, le conservateur de la propriété foncière dresse un extrait de la réquisition (contenant les principales données relatives à l’immeuble requis en immatriculation) à publier au Bulletin Officiel et à porter à la connaissance du public.
B- L’opération de bornage : (deuxième phase de la procédure administrative de l’immatriculation foncière) c’est une opération de nature complexe, opération topographique, un acte de publicité et une enquête judiciaire et sociale sur les lieux.
– Opération topographique : car elle permet de déterminer physiquement l’immeuble par la reconnaissance de sa situation précise, ses limites exactes, sa contenance réelle.
– Enquête judiciaire et social : car le topographe (délégué du conservateur) interroge le requérant, les riverains, les opposants et les intervenants, il peut constater l’état de l’immeuble et procéder à toutes les constations d’enquête utile.
– Acte de publicité : Après la publication de l’extrait de la réquisition d’immatriculation, le conservateur dresse dans 02 mois un avis de bornage contenant la date et l’heure de l’opération de bornage.
02 exemples de l’extrait la réquisition et de l’avis de bornage doivent être adressées 20 jours avant la date fixée pour le bornage au :
– Président du tribunal de 1ère instance ;
– Représentant de l’autorité locale du territoire sur lequel se trouve l’immeuble.
Ces autorités doivent afficher les exemples dans leurs locaux et les maintiennent exposés jusqu’au bornage. En outre le représentant de l’autorité locale (caïd) doit publier l’extrait de la réquisition et l’avis de bornage avec date et heure sur les marches de sa circonscription jusqu’au jour du bornage.
L’opération de bornage a pour but :
* De fixer le périmètre de la propriété ;
* De délimiter l’assiette des oppositions.
LE CONSERVATEUR :Le conservateur de la propriété dirige les opérations de bornage dont l’exécution est déléguée à un géomètre topographe assermenté du cadastre.En outre, le conservateur envoie des convocations personnelles au requérant l’invitant à assister aux opérations de bornage:
– Soit par l’intermédiaire d’un agent de la conservation foncier ;
– Soit par la poste sous pli recommandé ;
– Soit par la voie administrative ;
Le bornage est effectué à la date et heure fixées, en présence du requérant, en cas de besoin, le conservateur fait appel au procureur du roi pour mobiliser la force publique.
LE TOPOGRAPHE : Le géomètre place les bornes et dresse un plan sommaire de bornage dit bornage provisoire, car il peut être procédé à des bornages complémentaires ou rectificatifs en cas d’opposition.
Il peut interroger le requérant, les riverains, les opposants, les intervenants, les titulaires des droits réels et charges foncières.
Il est habilité à recevoir les oppositions formulées par les tiers, mais uniquement lors de la réalisation de l’opération du bornage.
En fin le topographe adresse un PV de bornage sur les constatations faites sur place.
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Si le requérant ne se présente pas la date et heure du bornage et s’il ne présente aucune excuse valable dans le mois qui suit l’avertissement qui lui a été adressée, la réquisition est considérée comme nulle. L’immatriculation est nulle aussi si le bornage n’a pu être effectuée deux fois en raison d’un litige concernant l’immeuble.
Toutefois si l’opération de bornage a été effectuée, le conservateur doit publier et afficher un avis portant que pendant un délai de deux mois à partir de cette publication les oppositions seront encore reçues.
Lorsque le bornage a été effectué, le levé du plan de la propriété doit être réalisé par un ingénieur géomètre topographe assermenté et ce dans un bref délai afin de permettre la publication de l’avis de clôture du bornage dans un délai maximum de 04 mois qui suivent le bornage définitif de la propriété.
III- L’opposition et la phase judiciaire de l’immatriculation
A- L’opposition : (Art 24 du Dahir de 1913),l’opposition est une contestation de la réquisition formulée par une personne autre que celui qui a fait la réquisition et qui prétend avoir un droit sur l’immeuble objet de la réquisition.
DÉLAI LÉGAL : Elle est faite dans un délai de 02 mois à partir de la publication de l’avis de clôture de bornage au B.O et elle peut être faite avant cette date mais en principe aucune opposition n’est acceptable au-delà du délai précité.
DÉLAI EXCEPTIONNEL : Une opposition peut être exceptionnellement reçue par le conservateur de la propriété foncière à condition que le dossier ne soit pas encore transmis au TPI. Toute fois l’opposant doit produire les documents qui peuvent justifier qu’il y a des raisons sérieux qui l’ont empêché de produire son opposition dans le délai.
L’opposition peut avoir pour objet :
1- La contestation portant sur l’existence du droit de propriété du requérant ;
2- La contestation portant sur les limites de l’immeuble ;
3- La contestation d’un droit publié opposable aux tiers.
L’opposition peut être présentée par les tuteurs, les représentants légaux, le procureur du roi, le juge des tutelles et le curateur aux biens des absents et des disparus.
Les autorités habilitées à recevoir les oppositions sont :
– Le conservateur de la propriété foncière ;
– L’ingénieur géomètre topographe, délégué du conservateur chargé de l’opération de bornage mais uniquement en ce qui concerne les oppositions formulées au cours de cette opération ;
– Le représentant de l’autorité locale dans le ressort duquel se trouve l’immeuble concerné ;
– Le président de la TPI dans le ressort duquel est situé l’immeuble.
Les oppositions sont faites par voie orale ou écrite. Le conservateur a le pouvoir de concilier les parties à savoir les opposants et le requérant. La décision du conservateur refusant l’opposition n’est susceptible d’aucun recours judiciaire.
L’opposition est considérée comme nulle et non avenue si l’opposant :
1- Ne produit pas les documents justifiant son opposition ;
2- Ne s’acquitte pas de la taxe judiciaire et des droits de plaidoirie ;
3- Ne justifie pas qu’il a obtenu l’assistance judiciaire (l’état qui prend en charge les frais) dans un délai d’un mois.
Par ailleurs lorsque l’opposition est estimée mal fondée par le conservateur procède à l’immatriculation s’il n’y a pas d’autres oppositions.
En fin si l’opposant est reconnue abusive ou de mauvaise foi, il se doit une amende au profit d’agence nationale de la conservation foncière dont le montant ne peut être inférieur à 10% de de la valeur de l’immeuble, sans préjudice des droits des parties qui peuvent demander des dommages et intérêts.
Par contre lorsque les droits d’opposition sont reconnus par le requérant, le conservateur doit publier ces droits au Bulletin Officiel.
Toute fois le juge peut intervenir dans la procédure d’immatriculation quand il y a opposition et que celle-ci n’est pas résolue par le conservateur ou quand ce dernier rejette l’immatriculation d’un immeuble.
B- La phase judiciaire de l’immatriculation :
1- La phase judiciaire de l’opposition :
L’opposition:
– Qui n’a pas eu l’objet de main levé par l’opposant ;
– Qui n’a pas eu d’acquiescement par le requérant ;
– Que la conciliation entamée par le conservateur à échoué.
= Doit être transmise au TPI accompagnée de l’extrait de la réquisition et des documents qui lui sont annexés dans le délai de trois mois qui suit l’expiration du délai prévu pour faire l’opposition.
Le TPI statut sur l’existence, la nature et l’étendue du droit prétendu par l’opposant, il n’a pas à décider sur le bien-fondé de la réquisition, ce rôle est dévolu au conservateur (le seul à admettre ou refuser la réquisition), le juge ne peut non plus décider sur les éventuels litiges entre les opposants.
Dès la réception de la réquisition d’immatriculation le président du TPI désigne un juge rapporteur pour prendre toutes les mesures appropriées.
Le juge rapporteur peut soit d’office soit sur demande des parties se transporter sur les lieux pour faire des enquêtes.
Le juge rapporteur peut déléguer un autre juge et peut au besoin être assisté par un topographe assermenté du cadastre.
Le juge rapporteur peut recueillir des déclarations et des témoignages et prendre toutes les mesures jugées utiles pour la mise en état du dossier.
Lorsque le juge rapporteur estime que l’affaire est en état, il fait avertir les parties de la tenue de l’audience au moins 08 jours à l’avance.
Le jugement rendu doit être notifié par extrait au requérant d’immatriculation et à tous les opposants.
Ce jugement est susceptible d’appel, dans ce cas le dossier est transmis au secrétariat greffe de la cours d’appel sans frais.
Au niveau de la cours d’appel le 1er président désigne un juge rapporteur qui va procéder aux enquêtes et à accomplir les mesures complémentaires soit d’office soit sur demande des parties.
Le juge rapporteur invite les parties intéressées à formuler leurs contestation et moyens de défense dans un délai de 15 jours.
Le reste de la procédure est le même que celui déjà évoqué au niveau du 1er degré.
L’arrêt rendu par la cours d’appel est susceptible de recours en cassation.
2- Le rejet de l’immatriculation : Si l’immeuble objet de la procédure sera ou non immatriculé, la décision de rejet doit être motivé et notifié au requérant de l’immatriculation, elle est susceptible de recourir devant le TPI qui statut à charge d’appel avec la possibilité d’un recours en cassation.
Le rejet de la réquisition entraine l’annulation du bornage et le requérant doit en faire disparaitre les traces, s’il s’abstient de le faire il y sera procédé à ses frais avec l’emploi de la force publique.
Le conservateur invite les parties à retirer les pièces. Si le rejet est partiel le bornage sera rectifié en prenant en considération la décision du conservateur immatriculant l’immeuble n’est pas motivée et ne fait l’objet d’aucun recours, elle met fin à la procédure d’immatriculation.
IV- Les effets de l’immatriculation et les droits des parties et des tiers
A- Effet de purge et caractère définitif et inattaquable du titre foncier
1- La purge judiciaire : La notion de la purge juridique est prévue à l’article 1er du dahir de 2013 modifié et compléter par la loi 14-07. L’effet de la purge signifie que la décision du conservateur rend le requérant propriétaire même s’il n’avait aucun droit valable antérieurement et le titre établi en son nom constitue un titre juridique nouveau.
2- Titre foncier définitif et inattaquable : L’article 1er du Dahir de 1913 modifié et complété par la loi 14-07 dispose que « L’immatriculation a pour objet de placer l’immeuble qui y a été soumis sous le régime de la présente loi sans qu’il puisse y être ultérieurement soustrait …»
L’article 62 dispose : « Le titre foncier est définitif et inattaquable, il forme le point de départ unique des droits réels et des charges foncières existant sur l’immeuble, au moment de l’immatriculation … »
L’application de ce principe signifie que le requérant une fois le titre foncier établi est libre de toutes les charges foncières. Toute fois, certains droits réels peuvent être opposés.
Ces droits sont :
– Les immeubles appartenant au domaine public et les immeubles Habous, car ces biens sont inaliénables et imprescriptibles.
– Les droits privatifs d’eaux qui ont pu être compris dans une décision d’immatriculation (l’eau appartient à l’État).
B- La responsabilité du requérant
1- Absence de Dol : Il s’agit de l’hypothèse où le requérant par l’application de la théorie de l’enrichissement est tenu de rembourser le prix d’achat d’un immeuble non immatriculé dont l’acquéreur n’a pas déposé en temps utile le titre constatant son acquisition à la conservation foncière.
L’acheteur n’a plus (du fait de la purge) le droit sur le bien immatriculé mais il peut prétendre au remboursement de ce qu’il a payé. Dans ce cas, il n’aura plus droit à des dommages et intérêts s’il savait que l’immeuble est en cours d’immatriculation et il n’est pas intervenu au moment opportun auprès de la conservation foncière pour sauvegarder son droit de propriété.
2- Existence de dol : L’article 64 du dahir de 1913 modifié et complété par la loi 14-07 exclu tout recours sur l’immeuble à raison d’un droit lésé par suite d’une immatriculation. Mais cet article permet à la partie lésée d’engager une action personnelle en dommages et intérêts quand il y a dol et si l’auteur du dol est en état d’insolvabilité les indemnités seront payées par le fonds d’assurances institué par l’article 100 de la loi sur l’immatriculation précitée.
Il s’agit du cas par exemple du requérant qui a frauduleusement immatriculé à son nom et son profil des immeubles qui revenaient à des enfants mineurs, dont il était le tuteur, c’est aussi le cas d’un vendeur qui a cédé son immeuble à acheter et postérieurement il déposera une réquisition d’immatriculation de l’immeuble pour obtenir un titre en son nom.
C- La responsabilité du conservateur
La partie lésée peut aussi engager un recours contre le conservateur pour engager sa responsabilité qui peut être professionnelle et personnelle. Mais avant de présenter ces responsabilités il faut signaler que le conservateur peut aussi engager sa responsabilité pénale et sa responsabilité financière. Ces deux responsabilités ne seront pas développées car la responsabilité pénale est soumise au code général pénal, alors que la responsabilité financière concerne le conservateur en tant que comptable public.
1- La responsabilité professionnelle du conservateur : Le conservateur peut être poursuivi en tant que fonctionnaire (article 79), dans ce cas le conservateur engage sa responsabilité administrative. Il n’a pas besoin de faute, car la seule instance du préjudice suffit pour engager la responsabilité de l’Etat.
En effet l’article précité dispose que l’État et les municipalités sont responsables des dommages causés par le fonctionnement de l’administration, et par faute de service.
La responsabilité du conservateur se base soit sur le DOC (article 80) soit sur le Dahir de 1913 :
– Ne pas insérer l’extrait de la réquisition dans le B.O ;
– Inobservation des délais de procédure ;
– Omission d’enrôlement d’une opposition.
Il s’agit d’une négligence grave constituée de fautes graves, mais il convient de remarquer que la frontière n’est pas très claire entre la faute légère et la faute professionnelle. Il revient donc au juge, selon les cas qui lui sont soumis d’apprécier la gravité de la faute.
2- La responsabilité fondée sur l’article 97 du Dahir de 1913 :L’article 97 du Dahir de 1913 présente une listedes fautes pouvant être commises par le conservateur et qui engage sa responsabilité personnelles et par conséquent, il supporte la répartition des dommages. Les cas prévus par cet article sont :
– L’omission sur ses registres d’une inscription, mention, prénotation ou radiation régulièrement requise.
– L’omission sur les certificats ou duplicata des titres et signés par lui de toute inscription, mention ou radiation portées sur le titre foncier.
– Des irrégularités et nullités des inscriptions, mentions, pré notation ou radiation portées sur le titre foncier sauf exception mentionnée dans l’article 73.
En fin, une question s’est posée de savoir si les dispositions de l’article 64 s’applique aussi au conservateur, du moment que ce texte parle d’une responsabilité personnelle engagée contre l’auteur du dol, sans préciser s’il s’agit du requérant ou du conservateur.
A propos de cette question, il convient de signaler qu’il n’y a unanimité ni dans la doctrine ni au niveau des décisions judiciaires. Quant à nous, nous pensons que du moment que ce texte n’écarte pas le conservateur, il peut donc lui être applicable.